La mousse lumineuse (Schistostega pennata) : à la recherche de l’or des gobelins

Les bryophytes, sans doute en raison de leurs petites tailles et de leurs caractères peu distinctifs, ont rarement stimulé l’imagination des hommes ; en tout cas bien moins que les plantes vasculaires. Il est toutefois quelques exceptions à ce constat général, et il se trouve que l’or des gobelins en est une parfaite illustration. Schistostega pennata, de son nom scientifique, est en effet une espèce tout à fait singulière, qui se développe sur les parois des grottes, dans les failles rocheuses, voire à l’entrée des terriers. Calcifuge, elle apprécie particulièrement les substrats gréseux ou granitiques, où on pourra la chercher à la faveur d’abris sous roche, de falaises accidentées, de murets ou encore le long des talus où elle profite des refuges que forment les racines.

Mais le caractère fascinant de Schistostega n’est pas seulement lié à son écologie, ni à son goût pour les endroits sombres que désertent les autres espèces de mousses. Non, ce qui la rend véritablement fantastique, et magique au plein sens du terme, c’est la manière qu’elle a de briller dans le noir, au fond des cavités que l’on éclaire d’une lampe de poche ou de la flamme d’une bougie. En effet, son protonéma – c’est-à-dire le tapis de cellules chlorophylliennes qui constitue son premier stade de développement – est constitué de petites sphères qui réfléchissent la lumière incidente comme des lentilles, et apparaissant dès lors « luminescentes », ce qui est une propriété extrêmement rare dans le règne végétal.

Cela étant, ce qui va nous intéresser dans cet article n’est pas tant le phénomène en lui-même que ce qu’il a engendré dans l’imagination des hommes. À travers son étymologie, mais aussi via les témoignages de ses découvertes et sa place culturelle, nous allons nous interroger sur la fascination mondiale et ancienne que suscite cette espèce. Mais ne perdons pas plus de temps : munissons-nous d’une lampe de poche, de bonnes chaussures et d’une loupe, et partons en quête de l’or des gobelins !

Étymologie : le langage comme témoin de la magie

Notre petite mousse luminescente a été décrite pour la première fois en 1785 par Dickson, qui l’a découverte dans le Dévon, c’est-à-dire au sud de l’Angleterre. L’espèce fut alors nommée Mnium osmundaceum, ce qui faisait référence à un genre déjà connu (Mnium), mais aussi et surtout à l’osmonde royale (Osmunda regalis), cette belle et grande fougère dont les extrémités des pennes présentaient – trouvait-on – une certaine ressemblance avec la mousse. Quelques années plus tard, en 1801, l’espèce fut rebaptisée Gymnostomum pennatum par Hedwig, l’appellation renvoyant cette fois encore aux feuilles « pennées » des fougères. Au cœur d’un imbroglio de descriptions et de nouveaux noms, c’est finalement en 1803 qu’apparaît celui de Schistostega pennata. Le genre signifie littéralement « dont l’opercule se fend », et il est malheureusement peu à propos puisqu’il ne correspond pas à ce qui est observé chez cette espèce[i].

Cela étant, nous avons vu en introduction que ce qui fait la singularité de notre sujet n’est pas tant la forme de ses feuilles ni l’ouverture de ses capsules, mais bien plutôt son protonéma qui scintille au cœur de la pénombre. Il se trouve que pendant quelque temps, toutefois, celui-ci fut considéré comme une espèce distincte, et non comme un stade de développement de Schistostega pennata. Ainsi, en 1826, un certain Bridel la décrit comme une algue qu’il nomme Catoptridium smaragdinum. Nous y trouvons la racine grecque de catoptris qui signifie « miroir » ou « image » et smaragdinos qui évoque un « vert émeraude ». En latin, catopritis désignait surtout « une sorte de pierre précieuse », appellation qui prend tout son sens quand on sait que l’espèce brille comme des pépites au cœur des cavernes[ii]… Ce n’est toutefois qu’en 1834 que la vérité est rétablie par Unger : cette algue n’en est pas une, mais il s’agit plutôt du protonéma de l’or des gobelins[iii].

La manière avec laquelle nous qualifions les éléments qui nous entourent témoigne de notre intérêt – ou à l’inverse de notre désintérêt – à leur égard. Or, il est plutôt rare que les bryophytes aient l’honneur de bénéficier d’un nom commun attesté et répandu. Le lecteur ou la lectrice l’aura deviné : Schistostega pennata fait partie des espèces qui bénéficient de ce traitement de faveur. Mieux encore, notre mousse des recoins obscurs dispose de nombreux noms communs, et même d’appellations régionales qui témoignent d’un attachement populaire certain.

Bien souvent, ses qualificatifs font référence à son caractère lumineux, directement ou indirectement. Pour ce qui est du premier cas, l’espèce est tout simplement appelée mousse lumineuse, mousse luminescente ou encore mousse brillante, avec toutes les déclinaisons possibles en fonction des langues : par exemple luminous moss[iv] ou luminescent moss[v] en Anglais ; lysmose en Norvégien[vi] ; leuchtmoos en Allemand[vii] ; musco luminoso en Espagnol[viii]… Cette dimension lumineuse offre parfois des noms plus originaux, et même amusants comme celui de bougie de lapin (rabbit’s candle)[ix], qui serait employé en Écosse, dans la région d’Édimbourg[x].

Mais l’étymologie de Schistostega pennata se déploie aussi dans le registre de l’or et des trésors… généralement en l’associant à des créatures folkloriques peuplant les grottes et les cavernes. Bien sûr, son nom le plus répandu est celui d’or des gobelins, qui en France est parfois décliné en or des lutins. Nous le retrouvons en anglais, avec l’appellation goblin’s gold[xi]. Cela étant, notre mousse luminescente est également placée sous la protection du dragon, créature des grottes elle aussi, mais autrement plus effrayante. Parmi ses noms anglais se trouve ainsi celui de dragon’s gold[xii], que l’on retrouve par exemple en Suède où on l’appelle drakguldmossa, soit « mousse de l’or de dragon »[xiii]. Quoi qu’il en soit, notre Schistostega est donc fréquemment comparée à un trésor… Cela s’explique bien sûr par son caractère brillant et son habitat cavernicole, mais aussi sans doute par sa rareté générale. L’espèce est en effet disséminée, cantonnée aux secteurs plutôt acides, et montre une écologie particulière qui la fait souvent passer inaperçue. Si elle peut être assez fréquente dans certaines régions propices, elle n’en demeure pas moins un taxon que les bryologues trouvent toujours avec une pointe d’émotion… ce dont je peux moi-même témoigner.

L’émotion des découvertes

Je me souviens comme si c’était hier de ma première rencontre avec Schistostega pennata. J’étais alors un jeune bryologue, encore fort inexpérimenté, qui voyait se déployer devant lui un monde merveilleux insoupçonné : celui des mousses et des hépatiques que je n’ai jamais cessé d’explorer depuis. Mais si les bryophytes sont un univers fantastique en eux-mêmes, que dire alors de cette mousse lumineuse, scintillant d’un vert émeraude au cœur de rochers perdus ; trésor naturel, ne se dévoilant qu’aux passionnés assez fous pour passer la tête dans ces trous apparemment inutiles ? Ce jour-là, le 29 juin 2013, j’étais parti arpenter les forêts et ruisseaux du pays de Bitche, en Moselle, dans la partie la plus septentrionale du massif des Vosges (plus exactement sur la commune de Sturzelbronn). Explorant la bryoflore d’un affleurement rocheux, je suis tombé sur une petite grotte qui s’enfonçait dans l’obscurité… C’est alors que sous ma loupe, qui passait en revue les espèces poussant sur les parois de l’entrée, j’ai reconnu les feuilles pennées de la Schistostega. Un sourire a fleuri sur mes lèvres, car c’était alors une découverte pour moi, et celui-ci s’est encore étiré quand, employant la lampe torche de mon téléphone, j’ai vu briller le protonéma émeraude dans la pénombre, un peu plus loin dans la cavité… Il n’y en avait pas beaucoup, seulement quelques petites taches çà et là, mais cela a suffi à me rendre heureux. J’ai eu bien du mal à repartir de cet endroit, car j’éprouvais alors le sentiment prégnant d’avoir exhumé un trésor ; non pas un trésor matériel, mais quelque chose de bien plus précieux, qui avait quelque chose à voir avec le cœur et l’âme.

Au cours des années qui ont suivi, j’ai recroisé à plusieurs reprises le chemin de l’or des gobelins, à l’occasion de diverses sorties dans le massif vosgien, seul ou en compagnie de bryologues allemands et alsaciens. Toujours, pourtant, la vision de cette espèce scintillante m’a procuré un sentiment d’euphorie, si bien qu’en m’installant dans les Vosges saônoises, j’ai décidé de me relancer à sa recherche, afin de mieux connaître sa répartition aux alentours de chez moi. Considérée comme très rare en Franche-Comté, la mousse lumineuse est peu citée dans la littérature ancienne, et n’était alors recensée que dans deux stations récentes. Armé de ma lampe de poche, j’ai donc arpenté les paysages, jusqu’à finalement la découvrir au sein de plusieurs communes du secteur. Tantôt je la voyais luire dans une grotte, tantôt sous les racines affleurantes d’un arbre à la faveur d’un talus… La même émotion me gagnait à chaque trouvaille, et en me penchant ensuite sur les récits de découverte de l’espèce, je me suis rendu compte que cet engouement pour Schistostega pennata était en fait largement partagé.

L’or des gobelins (Schistostega pennata), ici sous les racines d’un arbre en bord de talus.

Plongeons-nous donc dans quelques-uns de ces comptes-rendus en commençant par celui de Anton Kerner von Marilaun. En 1863, dans son ouvrage intitulé Das Pflanzenleben der Donauländer (« La flore du pays du Danube »), le botaniste autrichien relate la découverte de l’espèce, et justifie par ses propriétés extraordinaires les légendes et croyances qui lui sont attachées. Car,  lorsque l’on a prélevé un fragment de cet « or » qui scintillait dans la grotte, il ne demeure plus rien à la lumière du jour pour nous convaincre de son existence… Entre nos mains, il ne demeure plus rien que de la terre. A-t-on rêvé ? Bien sûr que non, mais le trésor est doté de propriétés magiques ; nous y reviendrons. Voilà en tout cas ce qu’en dit Kerner von Marilaun : « Ce phénomène, qu’un objet ne brille que dans les crevasses rocheuses obscures et perde aussitôt son éclat à la lumière du jour, est si surprenant que l’on comprend aisément comment sont nées les légendes de gnomes fantastiques et de gobelins troglodytes »[xiv]. Nous ne le contredirons pas.

En 1921, G.B. Kaiser, un bryologue américain, s’est lancé à la recherche de l’espèce dans les Appalaches… Le récit de sa découverte, qu’il livre lui-même dans le volume 24 de la revue The Bryologist, se passe de commentaire : « Un cri s’échappa de nos lèvres ! Ici, enfin, se trouvait l’objet de notre recherche, la mousse lumineuse : alors que nos yeux exploraient la pénombre, un faible scintillement semblait croître et grandir jusqu’à devenir la lueur de « l’or des gobelins » – une faible lumière vert-jaune qui brillait, tantôt stable, tantôt vacillante, toujours exquise, sous nos regards fascinés et ravis. (…) Plus tard dans la journée, alors que nous tentions de franchir la lisière du bois pour atteindre le sommet accidenté, le temps changea, de grandes étendues de nuages nous menaçaient et le vent souffla de façon lugubre : mais peu nous importait la tempête à venir ! Nous portions dans nos cœurs et nos esprits un souvenir qui resterait inscrit : nous avions réussi dans notre quête, nous avions trouvé la mousse lumineuse et, même si depuis ce jour, il ne nous a pas été donné de découvrir de nouveau cet objet de tant d’errance et d’émerveillement, cette découverte nous a conduits à considérer le mot Schistostega comme un mot magique, un talisman, un porte-bonheur ! »[xv]. Ainsi, je suis bien loin d’être le seul à qui cette minuscule mousse donne du baume au cœur ! Quiconque a la chance de l’observer un jour garde en lui un petit trésor ; un souvenir que l’on chérit et qui nous accompagne dans les épreuves comme une bénédiction.

Nous pourrions multiplier encore les témoignages émerveillés relatifs à la découverte de notre mousse lumineuse, par exemple en citant celui d’un certain Stephen Ward, qui narre son exploration d’un secteur de l’Écosse émaillé de terriers de lapins. Alors que la lumière décline, il aperçoit dans certains des trous quelque chose qui brille : « de magnifiques émeraudes qui scintillaient, comme un aperçu d’une véritable caverne d’Ali Baba souterraine »[xvi], explique-t-il alors. Ainsi, Schistostega pennata est fréquemment comparée à un trésor. Dès lors, on ne s’étonnera pas qu’elle soit l’objet d’une fascination singulière – si ce n’est d’une vénération –, qui s’exprime notamment dans la culture contemporaine.

Une plante magique et vénérée

Schistostega pennata est donc un petit talisman végétal, une merveille visuelle que l’on trouve avec une joie certaine. Même les amateurs du jeu vidéo Animal crossing connaissent peut-être cette espèce sans en avoir connaissance… Elle y est nommée mousse lumineuse (glowing moss dans la version anglaise), et peut être récoltée dans New Horizons, sur certaines îles mystérieuses accessibles uniquement par bateau. Une fois dans l’inventaire du joueur, notre bryophyte peut lui servir à décorer sa maison ou son jardin, mais aussi à fabriquer des éléments qui seront dès lors dotés d’une aura luminescente[xvii]

La mousse lumineuse dans le jeu vidéo Animal Crossing

La présence de Schistostega pennata dans un jeu vidéo d’origine japonaise n’est pas si surprenante que cela, car l’espèce bénéficie au Pays du Soleil levant d’une véritable adoration. En outre, elle joue un rôle central dans un livre auquel elle donne d’ailleurs le titre : Hikarigoke (Mousse Lumineuse) de Taijun Takeda, publié en 1953[xviii]. Il y est question de marins bloqués par une tempête de neige sur l’île d’Hokkaido. Trouvant refuge dans une grotte, ils sont finalement contraints de recourir au cannibalisme pour survivre… Le capitaine, seul survivant, expliquera devant une cour de justice que ceux qui avaient consommé de la chair humaine disposaient d’une aura verte phosphorescente autour d’eux, que seules les personnes demeurées saines étaient capables de voir. On comprend que la grotte était peuplée de Schistostega. Le roman a été repris en opéra[xix], mais aussi en film sous le nom de Luminous moss[xx]. Dans la version cinématographique, le protagoniste est un écrivain qui découvre un jour une grotte entièrement recouverte de ladite mousse, scintillant devant ses yeux troublés. Ayant eu vent d’une histoire de cannibalisme supposé concernant un équipage de marins échoué sur une île, il imagine un scénario dans lequel les mangeurs de chair humaine seraient trahis par des auréoles émeraude autour de leurs têtes, souvenir de cette mousse qu’il avait observée…

La fluorescence de l’or des gobelins joue donc ici un rôle sinistre. Mais au Japon, elle fait aussi l’objet d’une vénération plus traditionnelle, au point qu’un monument mémoriel lui est dédié au sein d’une petite grotte qui se trouve justement sur l’île d’Hokkaido. La mousse lumineuse recouvre une bonne partie du sol et des parois de cette cavité, où on peut se recueillir et méditer en se perdant dans sa singulière phosphorescence.

La cave Makkausu, sur l’île d’Hokkaido, honorant Schistostega pennata.

Il nous reste maintenant à aborder un mystère archéologique, qui nous ramène en Europe, et plus précisément en Angleterre. Dans son ouvrage Bryophytes of the Pleistocene: The British Record and its Chorological and Ecological Implications, le scientifique J.H. Dickson évoque une découverte pour le moins énigmatique… et extraordinaire. En effet, il nous explique qu’un fragment de Schistostega pennata a été identifié dans « la douille d’une hache enfouie au sein d’un dépôt datant de l’âge du bronze », à Aylsham, dans le comté du Norfolk[xxi]. S’il est déjà fabuleux que la plante soit demeurée identifiable après tout ce temps, c’est surtout l’endroit où elle fut découverte qui ouvre des perspectives fascinantes. Car comment un fragment de mousse lumineusea-t-il pu se retrouver à l’intérieur d’une arme ? Est-ce le fruit du hasard ou d’une action volontaire ?

Il va de soi que pour l’étude de matériaux relatifs à des périodes aussi lointaines, toute volonté d’apporter des réponses définitives est illusoire. Dickson opte pour une introduction accidentelle au sein du manche, sans doute au moment de la fabrication de la hache, et il est vrai que cette hypothèse est vraisemblable quand on sait que les tribus de l’âge du bronze se rassemblaient fréquemment dans des cavités qui constituent justement l’habitat de notre or des gobelins. Il faut toutefois noter que l’espèce est absente d’Aylsham, et plus généralement de l’est du Norfolk[xxii], et qu’étant donné la spécificité de ses habitats, il est probable que sa répartition n’ait pas beaucoup changé avec le temps[xxiii]. Cela signifierait donc que l’arme a été transportée sur une relativement longue distance, et qu’elle n’a pas été fabriquée là où elle a été enterrée. Cela étant entendu, si la possibilité d’une introduction accidentelle au sein de la douille de hache est bien réelle, on ne peut pour autant exclure l’hypothèse d’une introduction volontaire au sein de l’instrument. L’espèce aurait-elle fait l’objet d’une vénération particulière ? Est-il possible qu’on lui ait attribué des vertus magiques, qui expliqueraient sa présence en cet endroit si singulier ?

Rappelons-nous de quelle espèce nous parlons : la mousse lumineuse, l’or des gobelins. Les seules évocations de son nom nous inspirent des récits fantastiques, alors comment imaginer qu’elle n’ait pas aussi fasciné les hommes de jadis, qui la voyaient scintiller dans les grottes à la lueur de leurs torches ? Dickson lui-même n’élude pas totalement cette théorie : « Il demeure la possibilité que Schistostega ait eu une signification magique »[xxiv]. En outre, il est intéressant de relever que les divinités celtes liées au feu sont, de fait, aussi liées à la forge. Ainsi en est-il sans doute de Belenos[xxv] et de Bel, peut-être même de Lug. Or, ceux-ci sont aussi des dieux solaires, et donc des dieux lumineux comme le sont nos protonémas d’or des gobelins. Représentons-nous maintenant notre artisan antique, travaillant sur la fabrication des armes au sein de quelque cavité gréseuse, forgeant cette hache au-dessus d’un feu qui fait briller autour de lui les parois comme de l’or… Comment pourrait-il ne pas être troublé par un tel phénomène ? Ainsi, peut-être Schistostega pennata était-elle associée aux divinités solaires, et donc aux entités qui régissaient les flammes de la forge. Évidemment, nous n’en saurons jamais rien, mais ce fragment dans la hache n’en est pas moins un élément fort intriguant, qui nous ouvre de riches perspectives. Malheureusement, jusqu’à ce jour, aucune découverte analogue n’a été recensée.

L’or éphémère des gobelins

Ainsi, il est possible que Schistostega pennata ait stimulé l’imagination des hommes dès la préhistoire. Mais nos interrogations à son sujet peuvent largement se prolonger à l’époque moderne. Nous avons signalé que les bryophytes n’étaient que rarement évoquées dans les œuvres imaginaires – sans doute en raison de leur discrétion et de leurs ressemblances les unes aux autres –, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles n’aient pas pu inspirer certains motifs de nos légendes. En l’occurrence, Schistostega pennata, par son étymologie même, est ouvertement associée aux trésors souterrains, et aux gobelins qui en sont souvent les gardiens. Les grottes et cavernes ont toujours intrigué, d’autant plus qu’on pouvait parfois y trouver des filons d’or… Dès lors, de nombreuses histoires et croyances ont vu le jour au sujet de richesses cachées dans la pénombre, dont l’une des plus vivaces les voit fabriquées, ou rassemblées, par ces créatures humanoïdes et quelque peu inquiétantes que sont les gobelins. Cela étant dit, il n’est rien d’étonnant à ce qu’une mousse phosphorescente se développant sur les parois des cavités ait été reliée à ces personnages mythologiques… Nous ne reviendrons pas ici sur l’origine des gobelins – ce qui pourrait donner lieu à un livre entier – mais il n’est pas inutile de rappeler quelques-unes de ses occurrences les plus célèbres. Dans les pays germaniques, il prend parfois les atours du Kobold, qui peut être bienveillant envers les mineurs, mais aussi possessif et vengeur quand il s’agit de son métal précieux[xxvi]. Il est aussi mis en scène dans la culture contemporaine, par exemple dans l’univers de Harry Potter, où une fois encore ils apparaissent avares et fascinés par les richesses[xxvii]. Gardiens de la banque de Gringotts, leurs coffres sont répartis dans des méandres souterrains… Bien sûr, on les rencontre aussi dans la Terre du Milieu de J.R.R. Tolkien, où ils habitent au cœur des montagnes. Dans Le Hobbit, Bilbo et ses compagnons se frottent ainsi à eux au sein des Monts Brumeux, là où se trouve le trésor que garde le dragon Smaug[xxviii] ; autre créature associée à notre Schistostega, comme nous l’avons noté.

Jusque-là, nous pouvons légitimement supposer que c’est l’or véritable qui a inspiré le folklore, davantage que notre mousse lumineuse. Certes, mais dans certaines histoires, cet or tant convoité est lié à des propriétés magiques qui le font ni plus ni moins disparaître, ou encore tomber en poussière quand on s’en empare… Ce motif est très intéressant pour notre sujet, car c’est précisément ce qui survient quand on cherche à s’emparer du protonéma phosphorescent de la mousse lumineuse : à la lumière de la torche ou de la lampe, elle est semblable à de l’or, éclatante… mais quiconque gratte la paroi et prend la sortie ne trouve plus que de la poussière ou de la terre sous ses doigts, auxquelles se mêle un petit tapis vert tout à fait anodin. Dès lors, nous pouvons nous interroger à ce sujet… Schistostega pennata aurait-elle pu inspirer certaines de ces croyances et légendes relatives à un or éphémère, ou se métamorphosant sous les doigts de son découvreur ?

Le premier cas, celui de l’or qui disparaît, se rencontre dans de nombreux contes, au point d’avoir été identifié comme un « motif classique » de la littérature populaire par S. Thompson, sous le code N562 : « Le trésor disparaît de lui-même de temps à autre / Une illusion magique empêche les hommes de s’emparer des trésors »[xxix]. Bien souvent, ledit trésor n’apparaît que sur un laps de temps très court, à un moment symbolique du calendrier, et parfois même de la journée. Par exemple, de nombreuses richesses souterraines ne se révèlent que durant la nuit de Noël, parfois pendant la messe ou à minuit précis. Ainsi, dans le Maine, une grotte peuplée de fées n’est accessible que quand la cloche de l’église de Lavaré sonne ses coups…  À l’intérieur, « un amas d’or et d’argent », ainsi que des « pierres précieuses qui étincellent au point de changer la nuit en jour » attendent l’aventurier qui ose y pénétrer[xxx]. Il peut prendre ce qu’il veut, mais le rocher se referme au dernier tintement de cloche. Le phénomène est analogue en ce qui concerne le trésor des Fols de l’Allier, uniquement accessible durant la Messe de Noël ou le jour des Rameaux, quand le prêtre tape trois coups sur la porte de l’église… mais encore faut-il avoir vendu son âme au Diable pour pouvoir s’en emparer[xxxi]. Parmi les autres butins qui se révèlent à Noël, nous pouvons citer celui de la Cave aux bœufs (dans la Sarthe), ou encore celui des rochers de Pyrome (dans les Deux-Sèvres)[xxxii]. Dans certains cas, cependant, la visibilité et l’accessibilité du trésor sont plus éphémères encore. Sur le sentier entre Salvan et Fenestral, la légende veut qu’un trésor dissimulé sous une pierre ne soit visible qu’une fois tous les cent ans[xxxiii]

Ce qui est intéressant avec toutes ces histoires, c’est que le caractère éphémère de ces trésors peut faire écho au cycle de reproduction de notre mousse lumineuse. Le protonéma phosphorescent de Schistostega pennata, en effet, est théoriquement observable tout au long de l’année[xxxiv], mais cela ne signifie pas pour autant qu’il est perpétuellement visible au sein d’une même station. Ainsi, nous pourrions tout à fait imaginer l’émerveillement d’un voyageur campant dans une grotte qui en abrite, puis sa déception quand il y retourne quelques mois ou années plus tard et n’y trouve alors plus rien d’éclatant. Mais outre le cycle biologique de notre bryophyte, il faut aussi se souvenir que la phosphorescence du protonéma n’est perceptible qu’avec une certaine orientation et une certaine intensité de lumière… Autrement dit, le caractère scintillant visible à la lueur d’une torche disparaît quand on l’en éloigne, ou quand on y retourne au milieu de la journée. Par ailleurs, certaines stations de Schistostega peuvent naturellement briller dans les rayons du soleil à certaines heures particulières, quand ceux-ci pénètrent dans la grotte avec l’angle adéquat. L’observateur qui a la chance de s’y trouver voit alors apparaître l’or des gobelins… mais un or éphémère, qui disparaît en quelques minutes seulement, inspirant peut-être ces histoires de richesses disparues.

Au sein de ces légendes, un dernier point, et non des moindres, mérite notre attention : le moment privilégié durant lequel se révèlent ces trésors furtifs. En effet, celui-ci correspond généralement à Noël, qui est bien sûr une date hautement symbolique. Que l’enfant-lumière qu’est Jésus, en naissant, fasse jaillir la lumière à l’intérieur des grottes est somme toute assez logique, et il est compréhensible que les légendes aient privilégié cette nuit particulière pour ce phénomène. En outre, cette date correspond aussi, à peu de chose près, au solstice d’hiver, qui voit les jours rallonger. Symboliquement, c’est donc l’avènement de la lumière qui est célébré à cette date… et sa victoire sur l’obscurité hivernale. Or, n’est-ce pas précisément ce qu’incarne Schistostega pennata, quand elle scintille au cœur de la pénombre ? Elle représente la lueur persistant au cœur de la nuit, comme l’espoir qui demeure même dans les recoins les plus sombres de l’existence. Par son caractère lumineux, il n’aurait donc pas été étonnant que ce forgeron de l’âge de bronze l’ait employée comme emblème de sa divinité solaire, quelle qu’elle soit.

Le trésor qui tombe en poussière

Cela étant, retournons à nos légendes modernes, dans lesquelles un autre motif mérite notre attention. Car si l’or se contente parfois de disparaître, il lui arrive aussi fréquemment de tomber en poussière sous les doigts de son découvreur, ou de se transformer en simples débris, terreux ou végétaux. Ce phénomène se rencontre dans de nombreuses croyances, et pas seulement en France. Ainsi, Mare Kalda, docteur en philosophie, évoque des légendes relatives à la découverte d’une « lueur de trésor », dont on retrouve notamment des occurrences en Estonie. Dans ces récits, il peut arriver que des personnes autour d’un feu reçoivent de la terre ou des charbons pour allumer leurs pipes… qui se révèlent finalement de l’or après quelque temps. Mais le phénomène inverse est au moins aussi répandu : le trésor transmis se métamorphose en une matière qui n’a finalement aucune valeur : de la terre, des feuilles, des cendres[xxxv]… Est-ce parce que le feu autour duquel se tenait l’assemblée s’est éteint ? La mousse lumineuse était de l’or des gobelins tant que les flammes faisaient scintiller son protonéma, mais est devenue minuscule mousse enchâssée dans de la terre une fois la nuit revenue.

Ce même motif s’observe dans le conte The Crumbling Silver, en provenance d’Amérique du Nord. Il y est question de nodules brillants sur la roche, qui attisent la convoitise d’un certain Gardiner. Désireux de ne rien partager avec quiconque, il finit par tuer l’Indien Montauks qui lui avait montré l’endroit… mais déclenche ainsi une malédiction. En rentrant chez lui, à la lueur de la bougie, il s’aperçoit que ce qu’il a prélevé ne brille plus comme il devrait. Le lendemain matin, dans sa cave, il ne trouve plus qu’un tas de poussière grise parsemé de quelques reflets cuivrés[xxxvi]… Le trésor s’est transformé en un élément sans valeur. Il ne brille plus, tel le protonéma de Schistostega amené à la lumière du jour, ou à la faveur d’une lampe mal orientée. Ainsi, l’élément précieux qui se détériore et cesse de briller est un motif interculturel, que l’on retrouve de l’Estonie aux États-Unis. Bien sûr, on le rencontre aussi en Europe occidentale, par exemple en lien avec les fameux leprechauns. Leur trésor est réputé insaisissable, protégé par des enchantements et des secrets bien gardés. Si par hasard quelqu’un parvient malgré tout à s’en saisir, celui-ci peut se transformer en feuilles, en terre, ou simplement se désagréger à la vitesse de l’éclair, notamment si certaines règles ne sont pas respectées (ne pas élever la voix, ne pas regarder en arrière, ne pas révéler l’endroit…). Il en est parfois de même avec les butins des fées, ou encore avec les richesses que les sorcières croient obtenir du diable. Dans beaucoup de procès de sorcellerie, en effet, la personne séduite par le Malin reçoit en échange de son âme une sorte de salaire, sous forme d’or ou de monnaie. Mais généralement, celui-ci finit par disparaître, ou plus exactement par se transformer en quelque chose qui ne présente aucune valeur ; de la terre parfois, mais plus souvent des feuilles de chêne[xxxvii].

Ce motif de l’or qui se métamorphose une fois prélevé s’observe dans un conte des frères Grimm : Les Présents du peuple menu. Un tailleur et un orfèvre, voyageant au cœur de la nuit, découvrent un attroupement de joyeux lutins auquel ils s’intègrent, et auprès duquel ils obtiennent du charbon dont ils se remplissent les poches. Le lendemain matin, se réveillant dans une auberge, les deux compères ont le plaisir de constater que celui-ci s’est transformé en or… Mais l’histoire ne s’arrête pas là, car l’orfèvre décide alors de retrouver le petit peuple pour obtenir toujours plus de leur or. Comme le lecteur l’aura deviné, sa cupidité est punie, et le charbon demeure charbon cette fois-là. Pire encore, l’or qu’il avait obtenu initialement est lui aussi redevenu simple débris[xxxviii]. La littérature contemporaine s’est également emparée de ce concept. Par exemple, dans sa nouvelle The Devil and Tom Walker, Washington Irving met en scène un individu à qui un mystérieux personnage révèle l’emplacement du trésor du Capitaine Kidd. Celui-ci étant maudit et protégé par le diable en personne, l’homme devient riche aux dépens de son âme, mais finit au bout du compte ruiné par un procédé surnaturel qui voit notamment l’or et l’argent qu’il avait exhumés se transformer en copeaux de bois[xxxix]

Un phénomène assez similaire se rencontre dans le conte anglais The Hedley Kow, mais avec un dénouement cette fois plus propice au protagoniste. Une vieille dame y trouve un pot rempli d’or, mais sur le chemin qui la ramène chez elle, jetant un coup d’œil à l’intérieur, elle se rend compte que l’or s’est transformé en argent. Un peu plus tard, elle s’aperçoit que le pot contient du fer, puis de la roche. Pourtant, la femme prend à chaque fois ces métamorphoses avec optimisme, même quand le contenu du pot devient finalement le Hedley Kow, une étrange petite créature espiègle qui s’enfuit en riant. Elle se considère chanceuse d’avoir pu observer un tel être surnaturel et rentre chez elle contente de sa bonne fortune[xl]… comme le sont les bryologues découvrant la Schistostega à la lueur de leur lampe de poche. Les véritables trésors, finalement, ne sont jamais matériels.

Reste que le motif de l’or éphémère, ou de l’or qui se révèle n’être qu’un amas de débris sans valeur, est en réalité extrêmement fréquent dans l’imaginaire. Bien souvent, la richesse n’est qu’illusion, elle est temporaire, à l’instar du protonéma de Schistostega pennata qui apparaît comme de l’or au sein des cavités que l’on éclaire, mais devient désespérément banal une fois amené à la lueur du jour… du moins pour ceux que la bryologie ne passionne pas. En Gascogne, on disait que l’or était susceptible de pourrir et de devenir rouge dans les souterrains, si bien que les gobelins devaient étaler leur trésor à l’entrée des grottes pendant une heure durant la nuit de la Saint-Sylvestre, afin que celui-ci conserve tout son éclat[xli]. La mention de la couleur rouge est intéressante quand on sait qu’elle caractérise souvent les roches gréseuses, qu’affectionne la mousse lumineuse. L’espèce est d’ailleurs présente en Gascogne, ce qui nous conduit à souligner un autre aspect intéressant de toutes ces croyances et légendes : leur localisation.

En effet, en se penchant sur ces récits d’or éphémère ou de trésor qui se transforme une fois prélevé, on constate que beaucoup d’entre eux proviennent de régions où l’or de gobelins est effectivement connu. C’est le cas dans les Pyrénées-Atlantiques, certes, mais aussi en Bretagne et au Pays de Galles, territoires réputés pour leurs légendes relatives au Petit Peuple. On notera toutefois que l’espèce est absente d’Irlande, c’est-à-dire de la terre originelle des leprechauns, même si la créature s’est intégrée à l’imaginaire d’autres pays par la suite. En outre, l’espèce est présente en Estonie, en Écosse, mais aussi dans la majorité des États du quart nord-est des États-Unis[xlii]. Elle est aussi présente dans le Northumberland, en Angleterre, d’où est originaire la légende The Hedley Cow[xliii].

Elle l’est aussi dans les régions du sud de l’Allemagne, et notamment dans le Fichtelgebirge (un massif montagneux au nord-est de la Bavière) où le folklore mentionne d’étranges personnages elfiques entièrement couverts de mousse, dont une fameuse « dame-mousse » qui peut apparaître aux promeneurs. Dans l’une des légendes qui lui sont associées, la créature demande les fraises qu’a cueillies une petite fille pour sa mère malade, ce que cette dernière accepte. En rentrant chez elle, cependant, la fillette s’aperçoit que son panier est désormais rempli de fraises en or… Mais ce n’est pas tant l’histoire en tant que telle qui nous intéresse que la description qui est parfois faite de cette « dame-mousse », si on en croit Richard Folkard : « La robe de mousse de la petite femme est décrite comme étant de couleur dorée, qui brillait, vue de loin, comme de l’or pur, mais qui, de près, perdait tout son éclat »[xliv]. Autrement dit, le vêtement de cette fée scintille quand on l’observe sous un certain angle… mais devient terne dès lors qu’on l’inspecte de plus près. Nous pouvons même imaginer que la dame-mousse est luminescente tant qu’elle demeure dans la pénombre des sapins ou celle des rochers, mais qu’elle perd son éclat en se révélant à la lumière du jour, par exemple en s’avançant dans la clairière pour venir à la rencontre du promeneur… Quoi qu’il en soit, nous pouvons légitimement nous demander si son habit ne serait pas constitué – au moins en partie – de Schistostega pennata… même si d’autres espèces végétales ont pu être avancées comme les lycopodes. Folkard, d’ailleurs, écrit à leur sujet quelque chose qui pourrait aussi tout à fait s’appliquer (et peut-être même davantage) à la mousse lumineuse : « On pense que nombre des histoires de trésors cachés qui circulent sur le Fichtelgebirge sont dues à la présence de cette curieuse espèce végétale dans le massif »[xlv].

Cela étant, l’objet de cet article n’est aucunement d’affirmer que toutes ces légendes et croyances découlent directement du caractère lumineux de Schistostega pennata. Elles peuvent avoir été inspirées par bien d’autres phénomènes naturels, évidemment, ainsi que par des considérations psychologiques, philosophiques ou même morales. Ces contes témoignent de l’obsession séculaire des hommes pour les richesses cachées, et par leur crainte de voir la fortune acquise disparaître. Ils montrent aussi les dangers de la convoitise irréfléchie, en punissant les avares. Enfin, ces histoires mettent souvent en exergue le caractère illusoire des richesses terrestres, que les valeurs spirituelles viennent supplanter. Néanmoins, il est troublant de constater à quel point le phénomène phosphorescent du protonéma de notre mousse, qui disparaît à la lumière du jour, s’adapte parfaitement à ces motifs. Dès lors, il n’est pas exclu que certaines histoires, localement, aient pu être inspirées par ces observations troublantes ; par cette mousse lumineuse au sein de grottes reculées, qui ne devenait plus que terre une fois prélevée. En tout état de cause, il est hautement improbable qu’un phénomène à ce point extraordinaire n’ait pas stimulé l’esprit des hommes… Comment imaginer des enfants rester stoïques en explorant une grotte à la lueur d’une torche, tandis que brillent autour d’eux des tâches d’un vert émeraude phosphorescent ? De fil en aiguille, de bouche à oreille, ces observations pourraient devenir rumeurs, puis sous la plume d’un conteur se transformer en histoire, finalement amendée et déformée au fil des siècles jusqu’à nous parvenir…

CONCLUSION

Schistostega pennata est donc une bryophyte pour le moins extraordinaire. La propriété luminescente de son protonéma l’a dotée d’une place singulière dans l’imaginaire de l’homme, qui s’exprime de différentes façons. Son étymologie, tout d’abord, témoigne de la dimension fantastique qu’elle inspire : bougie de lapin, or des gobelins, or des dragons… Il faut dire que l’espèce, en brillant à l’entrée des cavités comme un trésor occulte, crée toutes les conditions d’une aventure épique pour les bryologues qui la découvrent, ce dont nous pouvons nous rendre compte par les récits empreints d’enthousiasme qu’ils nous ont livrés. Cela étant, la mousse lumineuse ne se contente pas d’émouvoir les naturalistes : elle inspire aussi au commun des mortels une vénération qui s’exprime par des films, des jeux vidéo, mais aussi des monuments en son honneur. Enfin, nous pouvons même nous demander si elle n’a pas pu inspirer certaines légendes et croyances populaires, en particulier celles relatives à des trésors éphémères ou tombant en poussières… Quoi qu’il en soit, Schistostega pennata est un trésor en soi, et l’un des plus beaux qui puissent être. Elle est une merveille de la nature, une part de magie en ce monde. Quiconque a la chance de l’observer obtient un talisman porte-bonheur, qui l’accompagnera où qu’il aille, niché au fond de son cœur, et qui en cela est infiniment plus précieux que tous les coffres remplis de diamants.

Pablo Behague. « Sous le feuillage des âges ». Novembre 2025.


[i] Isabelle Charissou, 2015, La mousse lumineuse Schistostega pennata (Hedw.) F. Weber & D. Mohr en France et en Europe, vol. 45, Bulletin de la Société botanique du Centre-Ouest.

[ii] Charissou, 2015, op. cit.

[iii] Leonard Thomas Ellis et Michelle Judith Price, 2012, Typification of Schistostega pennata (Hedw.) F.Weber & D.Mohr (Schistostegaceae), vol. 34, Journal of Bryology.

[iv] Sean R. Edwards, 2012, English Names for British Bryophytes, British Bryological Society, British Bryological Society Special Volume.

[v] USDA Forest Service, s. d., Gotchen Risk Reduction and Restoration Project.

[vi] Arne A. Frisvoll et al., 1995, Sjekkliste over norske mosar, Norsk institutt for naturforsking.

[vii] Martin Nebel et Georg Philippi, s. d., Die Moose – Baden-Württembergs, Ulmer, vol. 2.

[viii] C. Casas et al., 2000, Flore Briofitica Iberica. Referencas Bibliograficas., Institut Botanic de Barcelona, vol. 17.

[ix] Edwards, 2012, English Names for British Bryophytes, op. cit.

[x] royvickery, 2016, QUERY: Rabbit’s candle, plant-lore.com.

[xi] Edwards, 2012, English Names for British Bryophytes, op. cit.

[xii] J.M. Glime et Magdalena Turzanska, 2017, Bryophyte Ecology – Light : Reflection and Fluorescence, Michigan Technological University and the International Association of Bryologists.

[xiii] Lunds Botaniska Forening, 2001, Botaniska notiser, vol. 134‑1.

[xiv] Anton Kerner von Marilaun, 1863, Das Pflanzenleben der Donauländer.

[xv] George B. Kaiser, 1921, Little journeys into mossland, IV : Luminous moss., vol. 24, Bryologist; Charissou, 2015, La mousse lumineuse Schistostega pennata (Hedw.) F. Weber & D. Mohr en France et en Europe, op. cit.

[xvi] royvickery, 2016, QUERY: Rabbit’s candle, op. cit.

[xvii] Hisashi Nogami et Aya Kyogoku, 2020, Animal Crossing: New Horizons, Nintendo.

[xviii] Taijun Takeda, 1953, Hikarigoke (Mousse lumineuse).

[xix] Ikuma Dan et Taijun Takeda, 1972, Hikarigoke (Mousse lumineuse) – Opéra.

[xx] Kei Kumai et Taijun Takeda, 1992, Hikarigoke (Mousse lumineuse) – Film.

[xxi] James Holms Dickson, 1973, Bryophytes of the Pleistocene: the British record and its chorological and ecological implications, Cambridge University Press.

[xxii] Ian D.M. Atherton, Sam D.S. Bosanquet, et Mark Lawley, 2010, Mosses and liverworts of Britain and Ireland – a field guide, British Bryological Society.

[xxiii] Dickson, 1973, Bryophytes of the Pleistocene: the British record and its chorological and ecological implications, op. cit.

[xxiv] Dickson, 1973, op. cit.

[xxv] Tim Holt-Wilson, 2013, Our Vital Earth : Goblin’s Gold, storvaxt.blogspot.com.

[xxvi] Rossana Berretta, Ilaria Spada, et Amedeo De Santis, 2007, Les créatures fantastiques, Piccolia.

[xxvii] J.K. Rowling, 1997, Harry Potter and the Philosopher’s Stone, Bloomsbury.

[xxviii] J.R.R. Tolkien, 1937, The Hobbit, or There and Back Again, George Allen&Unwin.

[xxix] S. Thompson, 1955, Motif-index of folk-literature : a classification of narrative elements in folktales, ballads, myths, fables, medieval romances, exempla, fabliaux, jest-books, and local legends., Bloomington : Indiana University Press.

[xxx] Paul Sébillot, 1904_1907, Croyances, mythes et légendes des pays de France – Le folk-lore de France, E. Guilmoto, Omnibus.

[xxxi] Sébillot, 1904_1907, op. cit.

[xxxii] Sébillot, 1904_1907, op. cit.

[xxxiii] Sébillot, 1904_1907, op. cit.

[xxxiv] Charissou, 2015, La mousse lumineuse Schistostega pennata (Hedw.) F. Weber & D. Mohr en France et en Europe, op. cit.

[xxxv] Kalda, Mare, 2014, Hidden Treasure Lore in Estonian Folk Tradition, EKM Teaduskirjastus; Mare Kalda, 2023, Reality as Presented in Estonian Legends of Hidden Treasure, Yearbook of Balkan and Baltic studies.

[xxxvi] Auteur inconnu, 2021, The Crumbling Silver (North American Folk Tale), en. derevo-kazok.org, Fairy Tales Tree.

[xxxvii] Philippe Jéhin, 2002, Les aveux d’une sorcière en 1619, Dialogues transvosgiens; Maurice Foucault, 1907, Les procès de sorcellerie dans l’ancienne France devant les juridictions séculières, Bonvalot-Jouve; Alexandre Tuetey, 1886, La sorcellerie dans le Pays de Montbéliard, A. Vernier-Arcelin; Frédéric Delacroix, 1894, Les procès de sorcellerie au XVIIe siècle; Charles-Emmanuel Dumont, 1848, Justice criminelle des duchés de Lorraine et de Bar, du Bassigny et des trois évêchés.

[xxxviii] Jacob Grimm et Wilhelm Grimm, 1850, Les Présents du peuple menu, Kinder- und Hausmärchen – Contes de l’enfance et du foyer.

[xxxix] Washington Irving, 1824, The Devil and Tom Walker, John Murray.

[xl] Joseph Jacobs, 1894, The Hedley Kow, More English Fairy Tales.

[xli] Sébillot, 1904_1907, Croyances, mythes et légendes des pays de France – Le folk-lore de France, op. cit.

[xlii] Charissou, 2015, La mousse lumineuse Schistostega pennata (Hedw.) F. Weber & D. Mohr en France et en Europe, op. cit.; Departement of Natural Resources, Rare Species Guide – Schistostega pennata (Hedw.) Web. & Mohr (www.dnr.state.mn.us, 2025).

[xliii] Atherton, Bosanquet, et Lawley, 2010, Mosses and liverworts of Britain and Ireland – a field guide, op. cit.

[xliv] Richard Folkard, 1884, Plant Lore, Legends and Lyrics.

[xlv] Folkard, 1884, op. cit.

Snowdrops in the heart of winter: from the symbol of purity to Homer’s mysterious « moly »

While winter is not quite over and snow still covers the landscapes, small white bells are emerging from the dust along the paths, putting an end to the impatient botanist’s wait, who watched for the first blooms during his walks. Of course, what is depicted here is the season of the snowdrops, a term that has long been ambiguous since it could refer to both Leucojum and Galanthus. Nevertheless, these species share a certain affinity, which appears extremely clear on a symbolic level.

In the popular imagination, indeed, snowdrops embody the end of winter and the beginning of spring, or more precisely, the duality that exists between the two seasons. They are the flowers of transition and renewal, of the cold period diluting into the mild air of March, of the passage from death to life… But the symbolism of these plants is far from being so monolithic, since they have also been made emblems of virginity or even funerary omens. It has even been suggested that they could correspond to a mysterious plant from ancient mythology endowed with fabulous powers, and which Odysseus consumes before entering Circe’s house…

Flowers of winter and spring

The primordial symbolism of snowdrops, in the broadest sense, intimately associates them with winter and, a fortiori, with the snow that characterizes it. In this regard, examining their etymology is rich in lessons, and offers us many illustrations of this relationship. The common term « snowdrop » speaks for itself, but we know of other less widespread and equally evocative slang names for them. Thus, Galanthus nivalis is sometimes called « Winter Galantine, » « Winter Bell, » or even « Snow Galanthus. » In some cases, regional languages ​​take up this concept of a flower making its way through the white layer, as in Normandy where we speak of « Broque neige » or in Brittany where we evoke the « Treuz-erc’h. » As for European countries, many also use a term that is a translation of our « snowdrop » as in Yorkshire, England, where the plant is called « snowpiercer » (1). Among the other English names that we know of it, we can cite for example « winter gallant », « snowdrop » or even « little snow bell » which therefore relates to snow (2). As for Leucojum, their most commonly accepted name is that of « snowflake ».

Leucojum vernum. Vosges Mountains. Pablo Behague, March 2024.

The scientific names for snowdrops are just as relevant to all these winter notions. Galanthus can be translated as « milk flower. » As for the adjective nivalis, it obviously means « of the snows. » Thus, snowdrops are literally « milk flowers of the snows, » an expression that refers not only to their immaculate whiteness, but also to their flowering season. Leucojum is constructed from the word leuko, meaning « white, » and the word ion, which corresponded to violets. In other words, snowdrops are « white violets. »

One of the oldest references to the term « snowdrop » dates back to a manuscript dated 1641, Guirlande de Julie, which once again emphasizes the plant’s winter dimension. The poem dedicated to her includes these lines: Under a silver veil the buried Earth / Produces me despite its freshness / The Snow preserves my life / And giving me its name gives me its whiteness (3). Subsequently, the term was used in relation to figures linked either to the notion of winter or to the notion of whiteness. Thus, the character of Snow White, from the famous tale by the Brothers Grimm, has sometimes been translated as « Snowdrop » (4). We will have the opportunity to return to this. This name is also that of Dinah’s kitten, Alice’s cat in the work of Lewis Carroll. Unsurprisingly, the passages that mention it evoke its white coat, the little girl even allowing herself to call it « White Majesty » (5). From then on, we see a clear affiliation, both ecological and symbolic, between snowdrops and winter.

However, while Galanthus and Leucojum are indeed linked to winter, they primarily embody the end of winter. Indeed, when snowdrops break through the snow, it signifies the arrival of spring. They are, in a way, the scouts of the warm season, poking the tips of their bells through the icy layer before signaling the arrival of other vernal flowers such as primroses and violets. Therefore, it is not surprising that the etymology of these plants is also linked to spring and the return of fine weather. Thus, one of the snowdrops found in our region is the Spring Snowflake, which its scientific name indicates with the use of the word vernum. One of his English names is « spring whiteness » (6).

In fact, when these white flowers are mentioned, it is very often to emphasize the spring-like nature of the atmosphere. Snowdrops and snowflakes are, for the reader, an indicator of spring, a temporal marker situated precisely at the end of winter. In The Butterfly, Hans Christian Andersen’s tale, the insect is looking for a flower to marry. The author then explains to us that « it was the first days of spring », which naturally implies that « crocuses and snowdrops were blooming nearby » (7). It is also interesting to note that these two flowers are often associated in an initial procession, as in Goethe who in the poem Next Year’s Spring writes: « The beautiful snowdrops / Unfold in the plain / The crocus opens »  (8). Théophile Gautier, in a poem entitled Premier sourire du printemps (First Smile of Spring), tells us about Mars preparing for the arrival of fine days: “While composing solfeggios / Whistling to the blackbirds in a low voice / He sows snowdrops in the meadows / And violets in the woods” (9). It is again with the violet that our flower is associated in The Prince of Thieves, attributed to Alexandre Dumas. We find a monk reading a note from a young girl to her lover: “When the less harsh winter allows the violets to open / When the flowers are in bloom and the snowdrops announce spring / When your heart calls for sweet glances and sweet words / When you smile with joy, do you think of me, my love?” (10). In Little Ida’s Flowers, Andersen – him again – this time associates our plant with the hyacinth, another spring species: « The blue hyacinths and the little snowdrops rang as if they carried real bells » (11). Let us conclude this spring review of the snowdrop by quoting two extracts from the Chronicles of Narnia, a famous fantasy saga. In the first volume, the children see winter suddenly disappear, by magic. And what better way to characterize such an extraordinary phenomenon than by mentioning snowdrops? The author is not mistaken, since he tells us that after crossing a stream, they come face to face with snowdrops growing (12)…

The connection between these plants and the return of the warmer weather is therefore clear, and it is not surprising that they are used in the Martisor festival in Romania, celebrated in March. This connection is also expressed through several fascinating legends featuring the character of the « Spring Fairy. » In one of them, we see her confront the « Winter Fairy, » ultimately winning in single combat. From a drop of blood from the defeated fairy, the snowdrop is born, symbolizing the victory of the warmer weather over that of death (13). In another story, the Spring Fairy comes to the aid of a small snowdrop frozen by the icy winter wind. She clears the snow covering it and restores its life with a drop of blood (14).

More generally, snowdrops are linked to the idea of ​​beginning and renewal, obviously springtime values. We thus find the snowdrop in a primitive legend featuring Eve, just banished from paradise and wandering on the desolate earth. The snow was falling, laying a shroud over the world condemned by the fall of Man. An angel therefore descended to console the first woman. He took a snowflake and blew on it, ordering it to bud and blossom, which of course immediately gave birth to a snowdrop. Eve then smiled, understanding the symbol of hope that the flower represents (15). It embodies renewal in the heart of darkness, the light at the end of the tunnel. It is also a symbol of consolation, which contemporary authors also note.

A symbol of remembrance, the snowdrop is also dedicated to Saint Agnes, herself associated with the phoenix. Both the mythological bird and the flower are capable of being reborn from the darkness, of springing forth from the ashes of death and winter. They embody the hope of life even in the heart of darkness.

A symbol of virginity and purity

Closely linked to whiteness and the concept of beginning, as we have just seen, it is quite natural that the snowdrop is also associated with the notion of virginity and purity. Once again, etymology is rich in lessons on this subject, and already allows us to get a clear idea of ​​this facet of the plant. In England, Galanthus nivalis is sometimes called Mary’s tapers (16). This of course refers to the well-known Virgin, mother of Jesus, which the use of another name, that of Virgin flower, seems to support (17). In fact, snowdrops are even explicitly dedicated to the Virgin Mary, and a Christian legend has it that their flowering takes place precisely on February 2, the day of Candlemas during which the mother of Jesus took him to the Temple to make an offering. This anecdote also justifies another popular name for the plant, Fair Maid of February (18). Richard Folkard also points out that « the snowdrop was once considered sacred to virgins, » which, according to him, « may explain why it is so commonly found in orchards attached to convents and ancient monastic buildings » (19). Thus, nuns would have sown snowdrops abundantly around their retreats, as symbols of their chastity. Thomas Tickell, an 18th-century English poet, supports this view, speaking of a « flower that smiles first in this sweet garden, sacred to virgins, and called the Snowdrop » (20).

This connection to the virginity is not unique to Christianity, which makes it all the more interesting. Indeed, the snowdrop is closely linked to young girls in many traditions and tales. During the spring celebrations held at the beginning of March, Matronalia among the Romans or Martisor among the Romanians, the flower is often offered to young ladies. Furthermore, the snowdrop is linked to several female figures of virginity, one of the most famous of which is none other than Persephone. Let us recall that in the most famous myth concerning her, the young girl is abducted by Hades while picking flowers in a meadow, and taken to the underworld. While the snowdrop is never mentioned in ancient sources, Ovid himself mentions « the violet or the lily » (21). However, we have seen to what extent our snowdrop was often linked to the violet. In any case, later traditions have clearly associated Persephone with the snowdrop. Is this really surprising, given that this flower is a symbol of spring and renewal? Demeter’s daughter, in fact, embodies precisely this idea of ​​an annual vegetative cycle. An agreement is concluded, under the aegis of Zeus, which allows her to spend half the year in the open air, but obliges her to remain the rest of the time with her husband, in the underworld. From then on, Persephone emerges from the earth like the flowers of spring, emerging at the beginning of March like snowdrops. This link between the goddess and the plant is also found in a contemporary song, composed by the rapper Dooz-Kawa and entitled Perce neige: “Yeah, this rain that cries in the autumn that loses its fauns / It’s Demeter who is dying of Persephone’s exile / In short, we are snowdrop flowers, the ultimate weapon of distress / Drops that flow like the tears of the goddess” (22).

Hades abducting Persephone. Wall painting. Aigai. 4th century BC.

The myth of Persephone shares some similarities with the tale of Snow White, whose name, as we have seen, has sometimes been translated as « Snowdrop » (23). Like the Greek goddess, Snow White is a young girl subjected to the assaults of infernal forces, in this case a witch-stepmother. Like her, she symbolically undergoes a winter « eclipse, » falling into a long sleep that is only broken by the prince’s kiss, an allegory of spring that revives vegetation… and first and foremost the snowdrop. Thus, Persephone and Snow White can be seen as personifications of the beautiful season, but also of the plant that interests us, forging a path from the depths to bring blossom to the world.

The snowdrop heralds the time of rural frolics, the joyous period of youthful love in which young people indulge. A song from 1860 attests to this, with poetry typical of the century: “Watch over your little roses / The snowdrop will shine! (…) / You whose white muslin / Betrayed the pretty contours / In winter, under the Levantine / You close the door to love / Of happiness, sweet messengers / Let modesty slumber / Take up your light dresses / The snowdrop will shine” (24). We therefore see our plant clearly subservient to young ladies, and this symbolic association perhaps explains the medical properties attributed to it in old manuscripts. Indeed, Dioscorides, the famous physician of Antiquity, believes that the dried flowers of the snowdrop “are good for bathing the inflammation around the uterus and expelling the menstrual flow”. The plant thus presents a very clear feminine character and is linked to figures of purity, of which the Virgin Mary is the most emblematic example.

Cover of « Snowdrop story book ». Hilda Boswell, 1952.

From Funeral Oblivion to Homer’s Moly

Yet, contrary to our current understanding of the plant, snowdrops have also been interpreted as funerary symbols. Is this because of their white color and their connection to snow, evoking the shroud of mortuary chambers? The fact remains that several beliefs and traditions lead us to this register of mourning and death.

In certain regions of England, for example, it is believed that the first snowdrop of the year should not be brought inside homes. It is said to bring bad luck and could attract the grim reaper into the home. This belief stems from the flower’s resemblance to a corpse in its shroud, but the symbolism of winter undoubtedly plays a role as well (25). The same idea implies that one should never give someone snowdrops, because that would mean that one wants them dead. An English legend also tells of a woman who discovers her lover seriously injured and decides to place snowflakes on his wounds. These then turn into snowdrops at the same time as the man dies (26).

The Temple of Flora. Robert John Thornton, 1807.

But our plant’s relationship with death is also illuminated by its properties. Snowdrops are, in fact, toxic plants, and even fatal in relatively small doses. In the 19th century, François-Joseph Cazin explained that this toxicity was discovered accidentally when a woman sold snowdrop « onions » instead of chive ones (27). This reportedly caused violent vomiting in consumers, a classic symptom of poisoning from the plant’s bulb.

However, as is often the case, a poisonous herb can also, when carefully dosed, become a valuable medicine. This is the case with snowdrops. Galanthus nivalis contain galantamine, which is used to combat cognitive decline in Alzheimer’s disease or any other memory-related disorder (28). It is therefore no coincidence that the snowdrop was chosen as the emblem and name of a charity helping people affected by mental illness, founded by Lino Ventura and his wife Odette in 1966. Furthermore, galantamine is said to be an antidote capable of counteracting the effects of certain drugs, particularly atropine, contained in many nightshades used in witchcraft. This last point leads us to a fascinating historical mystery: that of a plant cited by Homer in the Odyssey, which he calls moly.

While Homer is the first to mention this plant, other ancient authors who came after him also did so, attempting to identify species familiar to them, such as Theophrastus (29), Dioscorides (30), Pliny the Elder (31), and Pseudo-Apuleius (32). However, several arguments support our snowdrop, in the broadest sense of the term. Indeed, the moly is mentioned when Odysseus and his companions, during their journey to Ithaca, visit Circe’s island. The episode is well known: the crew sent to reconnoiter the sorceress’s lair is transformed into a herd of pigs, with the exception of Eurylochus, who brings the news to Odysseus. Odysseus then sets out to free them and as he advances, he meets the god Hermes, who offers him his advice. It is at this moment that the moly is mentioned: « Here, take, before going to Circe’s house, this good herb, which will drive away the fatal day from your head. I will tell you all Circe’s evil tricks. She will prepare a mixture for you; she will throw a drug into your cup; but, even so, she will not be able to bewitch you. » for the good herb, which I am going to give you, will prevent its effect » (33). By following the advice of the messenger god, Ulysses actually manages to outwit the poison and save his companions.

Codex Medicina Antiqua. Page showing « Herba immolum, » Homer’s presumed « moly. » 13th century.

The significance of this episode is much more complex than it appears, and upon reading it, it is easy to understand why researchers have suggested that moly could correspond to our snowdrop (34). First of all, Circe is a sorceress, a witch, and there is no doubt that the mixture she prepares includes toxic ingredients, capable of making sailors lose their minds. The famous transformation into a pig, in fact, presents all the characteristics of a psychotic delirium. Individuals begin to hallucinate and act like animals, abandoning their humanity under the influence of the drug. From then on, we are entitled to suggest that the potion concocted by Circe included some well-known nightshades, such as deadly nightshade, nightshade, mandrake, or even the fearsome datura. Now, have we not observed that the galantamine of the snowdrop is capable of combating the symptoms of atropine? The herb picked by Hermes and offered to Odysseus could then be our plant, capable of countering Circe’s magic.

But the arguments in favor of a snowdrop moly don’t stop there, since Odysseus’s companions, upon entering the cursed dwelling and transforming into pigs, experience an episode of obvious mental disorder. Allegorically, this metamorphosis corresponds to amnesia, a forgetting of one’s own person and humanity… All signs of madness that the snowdrop is able to counteract through its effect on memory and the brain. Odysseus keeps his head on his shoulders when his men lose it, but it is with the moly that he cures the madness and forgetfulness of his comrades. It is also interesting to note that the species is mentioned in video games related to the Harry Potter universe (35). However, according to the Pottermore website, moly is mentioned in the book A Thousand Magical Herbs and Mushrooms by the witch Phyllida Augirolle, where it is stated that it combats enchantments.

Moly in Herbology class at Hogwarts. « Harry Potter: Hogwarts Mystery, » 2018.

Let us note in conclusion that ancient descriptions of the plant, although absent from Homer, support the hypothesis of the snowdrop or snowflake. Ovid, in his Metamorphoses, speaks of a « white flower, which has a black root » that Odysseus uses as a talisman upon entering Circe’s home (36). It must be said that symbolically, by appearing first after the winter darkness, the snowdrop is a marker of memory; it reminds us of the existence of spring and fine weather, just as the moly reminds the members of the transformed crew who they really are.

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Thus, snowflakes and snowdrops conceal many mysteries. They symbolize the whiteness of winter, and are therefore linked to notions of virginity and purity. From Mary to the spring fairies, from Persephone to Snow White, these early-blooming plants are also associated with the return of light to the heart of darkness; with renewed hope after long winter nights. In a way, the snowdrop « drives away the cold winter, » as the well-known folk song invokes. « Drive the Cold Winter Away » dates back to at least the 17th century (37), a time when winter was experienced in the flesh and was a difficult ordeal to grasp in the light of our modern comforts. Seeing the snowdrop’s bell must have warmed the heart of the peasant, whose reserves were perhaps running low.

But the snowdrop also symbolizes remembrance. It reminds us of the existence of sunny days and festive springs at a time when the tunnel of winter seems endless. Furthermore, it is perhaps the famous moly mentioned by ancient sources, including Homer, who counteracts the magic of forgetting perpetrated by Circe. As I finish this article, the snowdrops have emerged on the roadsides and in the gardens still covered in the morning frost. Scouts of the spring procession, they will soon be followed by violets, primroses and other hyacinths… then fall back into their annual sleep, without being forgotten.

Pablo Behague, « Sous le feuillage des âges ». Février 2025.

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(1) Richard Mabey, 1996, Flora Britannica.
(2) Charles M. Skinner, 1911, Myths and Legends of Flowers, Trees, Fruits and Plants : In All Ages and in All Climes.
(3) Auteurs incertains, 1641, Guirlande de Julie.
(4) Jacob Grimm, Wilhelm Grimm, et Arthur Rackham, 1909, The Fairy Tales of the Brothers Grimm.
(5) Lewis Carroll, 1865, Alice’s Adventures in Wonderland.
(6) Skinner, 1911, Myths and Legends of Flowers, Trees, Fruits and Plants : In All Ages and in All Climes., op. cit.
(7) Hans Christian Andersen, 1861, Le Papillon.
(8) Johann Wolfgang von Goethe, 1816, Next Year’s Spring.
(9) Théophile Gautier, 1884, Premier sourire du printemps.
(10) Alexandre Dumas, 1872, Le Prince des voleurs.
(11) Hans Christian Andersen, 1835, Les fleurs de la petite Ida.
(12) Clive Staples Lewis, 1950, The Chronicles of Narnia – The Lion, the Witch and the Wardrobe.
(13) 2020, Le perce-neige : mythe, légende et remède, murmuresdeplantes.fr.
(14) 2010, Légendes du perce-neige, beatricea.unblog.fr.
(15) Richard Folkard, 1884, Plant Lore, Legends and Lyrics.; Skinner, 1911, Myths and Legends of Flowers, Trees, Fruits and Plants : In All Ages and in All Climes., op. cit.
(16) Mabey, 1996, Flora Britannica, op. cit.
(17) Skinner, 1911, Myths and Legends of Flowers, Trees, Fruits and Plants : In All Ages and in All Climes., op. cit.
(18) Folkard, 1884, Plant Lore, Legends and Lyrics., op. cit.
(19) Folkard, 1884, op. cit.
(20) Thomas Tickell, 1722, Kensington Garden.
(21) Ovide, Ier s., Métamorphoses.
(22) Dooz Kawa, 2014, Perce Neige.
(23) Grimm, Grimm, et Rackham, 1909, The Fairy Tales of the Brothers Grimm, op. cit.
(24) Jean-François Dumas, 2014, Le perce-neige (Galanthus nivalis) et espèces proches.
(25) Folkard, 1884, Plant Lore, Legends and Lyrics., op. cit.
(26) Skinner, 1911, Myths and Legends of Flowers, Trees, Fruits and Plants : In All Ages and in All Climes., op. cit.
(27) François-Joseph Cazin et Henri Cazin, 1868, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes.
(28) Jacqueline S. Birks, 2006, Cholinesterase inhibitors for Alzheimer’s disease.
(29) Théophraste, IVe-IIIe s. av. J.-C., Historia plantarum – Recherche sur les plantes.
(30) Pedanius Dioscoride, Ier s., De Materia Medica.
(31) Pline l’Ancien, vers 77, Histoire naturelle – Livre XXI.
(32) Pseudo-Apulée, IVe s., Herbarius.
(33) Homère, VIIIe s. av. J.-C., L’Odyssée.
(34) Andreas Plaitakis et Roger C. Duvoisin, 1983, Homer’s moly identified as Galanthus nivalis L.: physiologic antidote to stramonium poisoning.
(35) Jam City, 2018, Harry Potter : Secret à Poudlard – jeu.
(36) Ovide, Ier s., Métamorphoses, op. cit.
(37) Auteur inconnu, 1625, Drive the Cold Winter Away – chanson.

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Articles sur la sortie aux alentours des ruines de l’abbaye de Cherlieu (70)

La presse de Vesoul et l’Est Républicain ont chacun consacré un article à la sortie que je proposerai aux alentours de l’abbaye de Cherlieu, le samedi 28 juin.

Nivéoles et perce-neiges à l’assaut de l’hiver : du symbole de pureté au mystérieux « moly » d’Homère

Alors que l’hiver n’est pas tout à fait terminé et tandis que la neige recouvre encore les paysages, voilà que de petites clochettes blanches s’échappent de la poudre au bord des chemins, mettant ainsi fin à l’attente du botaniste, impatient, qui guettait au fil de ses promenades les premières floraisons. Bien sûr, est dépeint ici l’époque des perce-neiges, un terme qui a longtemps été ambigu puisqu’il pouvait désigner à la fois ce que nous appelons plus communément aujourd’hui les nivéoles, et les perce-neiges au sens strict. Les premières sont à présent rangées dans le genre Leucojum, alors que les seconds constituent les Galanthus. Reste que ces espèces présentent une affinité certaine, qui apparait extrêmement nette au niveau symbolique.

Dans l’imaginaire populaire, en effet, les nivéoles et perce-neiges incarnent la fin de l’hiver et le début du printemps, ou plus exactement la dualité qui s’opère entre les deux saisons. Elles sont les fleurs de la transition et du renouveau, de la période froide se diluant dans l’air doux du mois de mars, du passage de la mort à la vie… Mais le symbolisme de ces plantes est loin d’être aussi monolithique, puisqu’on en a également fait des emblèmes de virginité ou encore des présages funéraires. On a même suggéré qu’elles pourraient correspondre à une mystérieuse plante de la mythologie antique dotée de pouvoirs fabuleux, et que consomme Ulysse avant d’entrer chez Circé…

Des fleurs de l’hiver et du printemps

La symbolique primordiale des perce-neiges, au sens large, les associe de façon intime à l’hiver et a fortiori à la neige qui le caractérise. À cet égard, nous pencher sur leur étymologie est riche d’enseignement, et nous offre moult illustrations de ce rapport. Le terme commun de « perce-neige » se passe de commentaire, mais on leur connaît d’autres noms argotiques moins répandus et tout aussi évocateurs. Ainsi, Galanthus nivalis est parfois appelée « Galantine d’hiver », « Clochette d’hiver » ou encore « Galanthe des neiges ». Dans certains cas, les langues régionales reprennent ce concept d’une fleur se frayant un chemin à travers la couche blanche, comme en Normandie où on parle de « Broque neige » ou en Bretagne ou on évoque le « Treuz-erc’h ». Quant aux pays européens, ils sont nombreux à employer aussi un terme qui est une traduction de notre « perce-neige » comme dans le Yorkshire, en Angleterre, où on qualifie la plante de « snowpiercer »1. Parmi les autres appellations anglaises qu’on lui connaît, on peut citer par exemple « winter gallant », « snowdrop » ou encore « little snow bell » qui se rapporte donc à la neige2. Pour ce qui est des nivéoles, elles sont tout simplement comparées à des flocons puisque leur dénomination la plus couramment admise est celle de « snowflake ».

Nivéole de printemps. Massif des Vosges.
Pablo Behague, mars 2024.

Les noms scientifiques des perce-neiges et nivéoles n’ont rien à envier à toutes ces notions hivernales. Les premiers sont donc des Galanthus, ce qui peut se traduire par « fleur de lait ». Quant au qualificatif de nivalis, il signifie bien sûr « des neiges ». Ainsi, les perce-neiges sont littéralement des « fleurs de lait des neiges », une expression qui renvoie non seulement à leur blancheur immaculée, mais aussi à leur saison de floraison. Les nivéoles, pour leur part, appartiennent au genre Leucojum, qui est construit avec le mot leuko signifiant « blanche » et le mot ion qui correspondait aux violettes. Autrement dit, les nivéoles seraient des « violettes blanches ».

L’une des plus anciennes mentions du terme de « perce-neige » remonte à un manuscrit daté de 1641, la Guirlande de Julie, qui insiste une nouvelle fois sur la dimension hivernale de la plante. Le poème qui lui est dédié comprend ces vers : Sous un voile d’argent la Terre ensevelie / Me produit malgré sa fraîcheur /La Neige conserve ma vie / Et me donnant son nom me donne sa blancheur3. Par la suite, le terme fut employé à propos de figures reliées soit à la notion d’hiver, soit à la notion de blancheur. Ainsi, le personnage de Blanche-Neige, issu du célèbre conte des frères Grimm, a parfois été traduit en « Snowdrop », ce qui est une désignation anglaise du perce-neige4. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Ce nom est aussi celui du chaton de Dinah, la chatte d’Alice dans l’oeuvre de Lewis Caroll. Sans surprise, les passages qui le mentionnent évoquent son pelage blanc, la petite fille se permettant même de l’appeler « Majesté blanche »5. Dès lors, on constate une affiliation nette, tant écologique que symbolique, entre les perce-neiges et l’hiver.

Toutefois, si les Galanthus et Leucojum sont bel et bien liés à l’hiver, ils incarnent surtout la fin de l’hiver. En effet, quand les perce-neiges percent la neige, c’est pour signifier que le printemps arrive. Ils sont en quelque sorte les éclaireurs de la belle saison, pointant le bout de leur clochette à travers la couche glacée avant de donner le signal aux autres fleurs vernales que sont, par exemple, les primevères ou violettes. Dès lors, on ne s’étonnera pas que l’étymologie de ces plantes soit aussi liée au printemps, et au retour des beaux jours. Ainsi, l’une des deux nivéoles de nos régions est la Nivéole de printemps, ce que d’ailleurs son nom scientifique indique avec l’emploi du mot vernum. L’une des appellations anglaises du perce-neige est par ailleurs « spring whiteness », c’est-à-dire « blancheur de printemps »6.

De fait, lorsque ces fleurs blanches sont évoquées, c’est très souvent pour souligner le caractère printanier de l’atmosphère. Les perce-neiges et nivéoles sont, pour le lecteur, un indicateur du printemps, un marqueur temporel se situant précisément à la chute de l’hiver. Dans Le Papillon, le conte d’Hans Christian Andersen, l’insecte est en quête d’une fleur à marier. L’auteur nous explique alors qu’ « on était aux premiers jours du printemps », ce qui implique naturellement que « les crocus et les perce-neiges fleurissaient alentours »7. Il est d’ailleurs intéressant de relever que ces deux fleurs sont souvent associées en un cortège initial, comme chez Goethe qui dans le poème Le printemps de l’année prochaine écrit : « Les beaux perce-neiges / Se déploient dans la plaine / Le crocus s’ouvre »8. Théophile Gautier, dans un poème intitulé Premier sourire du printemps, nous parle de Mars préparant l’arrivée des beaux jours : « Tout en composant des solfèges /Qu’aux merles il siffle à mi-voix / Il sème aux prés les perce-neiges / Et les violettes aux bois »9. C’est à nouveau à la violette qu’est associée notre fleur dans Le Prince des Voleurs, attribué à Alexandre Dumas. On y trouve un moine lisant le mot d’une jeune fille à son amant : « Quand l’hiver moins rigoureux permet aux violettes de s’ouvrir /Quand les fleurs sont écloses et que les perce-neige annoncent le printemps / Quand ton coeur appelle les doux regards et les douces paroles /Quand tu souris de joie, penses-tu à moi, mon amour ? »10. Dans Les fleurs de la petite Ida, Andersen – encore lui – associe cette fois notre plante à la jacinthe, autre espèce printanière : « Les jacinthes bleues et les petites perce-neiges sonnaient comme si elles portaient de véritables sonnettes »11. Concluons ce passage en revue printanier du perce-neige en citant deux extraits du Monde de Narnia, célèbre saga fantastique. Dans le premier tome, les enfants voient l’hiver se dissiper brusquement, par enchantement. Et quoi de mieux que l’évocation des perce-neiges pour caractériser un tel phénomène extraordinaire ? L’auteur ne s’y trompe pas, puisqu’il nous dit qu’après avoir traversé un ruisseau, ils tombent nez à nez avec des perce-neiges en train de pousser12

Le rapport de ces plantes au retour de la belle saison est donc clair, et il n’est rien d’étonnant à ce qu’elles soient employées dans le cadre de la fête de Martisor, en Roumanie, célébrée au mois de mars. Il s’exprime aussi à travers plusieurs légendes passionnantes, mettant en scène le personnage de la « Fée printemps ». Dans l’une d’elles, on la voit affronter la « Fée hiver », et finalement l’emporter en combat singulier. D’une goutte de sang de la fée défaite naît le perce-neige, symbole de la victoire de la belle saison sur celle de la mort13. Au sein d’une autre histoire, la Fée printemps vient en aide à un petit perce-neige transi de froid par le vent glacial de l’hiver. Elle dégage la neige qui le recouvre et lui redonne la vie à l’aide d’une goutte de sang14.

Plus généralement, les perce-neiges et nivéoles sont reliés à l’idée de commencement et de renouveau, des valeurs évidemment printanières. On retrouve ainsi le perce-neige dans une légende primitive mettant en scène Eve, tout juste chassée du paradis et errant sur la terre désolée. La neige tombait, déposant un linceul sur le monde condamné par la chute de l’Homme. Un ange descendit par conséquent pour consoler la première femme. Il s’empara d’un flocon et souffla dessus, lui ordonnant de bourgeonner et de s’épanouir, ce qui bien sûr donne aussitôt naissance à un perce-neige. Eve sourit alors, comprenant le symbole d’espoir que représente la fleur15. Elle incarne le renouveau au coeur des ténèbres, la lumière au fond du tunnel. Elle est de plus un symbole de consolation, ce que des auteurs contemporains notent également.

Symbole de réminiscence, le perce-neige est aussi dédié à sainte Agnès, elle-même liée au phénix. L’oiseau mythologique comme la fleur sont capables de renaître depuis l’obscurité, de rejaillir depuis les cendres de la mort et de l’hiver. Ils incarnent l’espoir de la vie même au coeur des ténèbres.

Un symbole de virginité et de pureté

Intimement lié à la blancheur et au concept de commencement, ainsi que nous venons de le constater, c’est fort naturellement que le perce-neige est aussi associé à la notion de virginité et de pureté. Une fois encore, l’étymologie est riche d’enseignement à ce sujet, et nous permet déjà de nous faire une idée claire de cette facette de la plante. En Angleterre, Galanthus nivalis est parfois appelé Mary’s tapers, c’est-à-dire « cierges de Marie »16. Cela fait bien sûr référence à la Vierge bien connue, mère de Jésus, ce que l’usage d’un autre nom, celui de Virgin flower, semble appuyer17. À vrai dire, les perce-neiges sont même explicitement dédiés à la Vierge Marie, et une légende chrétienne veut que leur floraison ait lieu précisément le 2 février, soit le jour de la Chandeleur durant lequel la mère de Jésus l’a emmené au Temple pour effectuer une offrande. Cette anecdote justifie d’ailleurs un autre nom populaire de la plante, celui de Fair Maid of February18. Richard Folkard souligne également que « le perce-neige était autrefois considéré comme sacré pour les vierges », ce qui selon lui « peut expliquer pourquoi on le trouve si généralement dans les vergers rattachés aux couvents et aux anciens bâtiments monastiques »19. Ainsi, les nonnes auraient abondamment semé les perce-neiges autour de leurs retraites, comme des symboles de leur chasteté. Thomas Tickell, un poète anglais du XVIIIe siècle, va dans ce sens puisqu’il parle d’une « fleur qui sourit pour la première fois dans ce doux jardin, sacrée aux vierges, et appelée la Perce-neige »20.

Ce rapport à la virginité de la plante n’est pas propre au christianisme, ce qui le rend d’autant plus intéressant. En effet, le perce-neige est intimement lié aux jeunes filles dans de nombreuses traditions et de nombreux contes. Lors des fêtes de célébration du printemps qui se tiennent au début du mois de mars, Matronalia chez les Romains ou Martisor chez les Roumains, ce sont souvent aux demoiselles qu’on offre la fleur. Par ailleurs, le perce-neige est lié à plusieurs figures féminines de virginité, dont l’une des plus fameuses n’est autre que Perséphone. Rappelons que dans le mythe le plus célèbre qui la concerne, la jeune fille est enlevée par Hadès alors qu’elle cueille des fleurs au sein d’une prairie, et amenée jusqu’aux enfers. Si le perce-neige n’est jamais cité par les sources antiques, Ovide évoque pour sa part « la violette ou le lis »21. Or, nous avons vu à quel point notre perce-neige était souvent rattaché à la violette. Quoi qu’il en soit, les traditions postérieures ont clairement associé Perséphone au perce-neige. Est-ce vraiment surprenant, quand on sait que cette fleur est un symbole de printemps et de renouveau ? La fille de Déméter, en effet, incarne précisément cette idée de cycle végétatif annuel. Un accord est conclu, sous l’égide de Zeus, qui lui permet de passer la moitié de l’année à l’air libre, mais l’oblige à demeurer le reste du temps auprès de son époux, dans le monde souterrain. Dès lors, Perséphone sort de terre telles les fleurs du printemps, émergeant au début du mois de mars comme le font les perce-neiges ou les nivéoles. Ce lien entre la déesse et la plante se retrouve d’ailleurs dans une chanson contemporaine, composée par le rappeur Dooz-Kawa et intitulée Perce neige : « Yeah, cette pluie qui pleure dans l’automne qui perd ses faunes / C’est Démeter qui se meurt de l’exil de Perséphone / En somme, nous sommes des fleurs perce-neige, ultime arme de la détresse / Des gouttes qui coulent comme les larmes de la déesse »22.

Hadès enlevant Perséphone. Peinture murale. Aigai. IVe s. av. J.-C.

Le mythe de Perséphone n’est pas sans points communs avec le conte de Blanche-Neige, dont nous avons vu que le nom avait parfois été traduit en « Snowdrop »23. Comme la déesse grecque, Blanche-Neige est une jeune fille soumise aux assauts des forces infernales, en l’occurrence une belle-mère sorcière. Comme elle, elle subit symboliquement une « éclipse » hivernale, en sombrant dans un long sommeil qui ne sera rompu que par le baiser du prince, allégorie du printemps faisant renaître la végétation… et en premier lieu le perce-neige. Ainsi, Perséphone et Blanche-Neige peuvent être perçues comme des personnifications de la belle saison, mais aussi de la plante qui nous intéresse, se frayant un chemin depuis les profondeurs pour amener la floraison au monde.

Le perce-neige annonce le temps des folâtreries champêtres, la joyeuse époque des amours juvéniles auxquels s’adonnent les jeunes gens. De cela, une chanson de 1860 en atteste, avec une poésie bien typique du siècle : « Veillez sur vos roses fillettes /Le Perce-neige va briller ! (…) / Vous dont la blanche mousseline / Trahissait les jolis contours /Dans l’hiver, sous la levantine / Vous fermez la porte aux amours / Du bonheur, douces messagères /Laissez la pudeur sommeiller / Reprenez vos robes légères /Le Perce-neige va briller »24. On voit donc notre plante clairement inféodée aux demoiselles, et cette association symbolique explique peut-être les propriétés médicales qu’on lui attribue dans de vieux manuscrits. En effet, Dioscoride, le célèbre médecin de l’Antiquité, estime que les fleurs séchées du perce-neige « sont bonnes pour baigner l’inflammation autour de l’utérus et expulser le flux menstruel ». La plante présente ainsi un caractère féminin très net et se trouve reliée à de figures de pureté dont la Vierge Marie est le cas le plus emblématique.

Couverture de « Snowdrop story book ». Hilda Boswell, 1952.

De l’oubli funéraire au moly d’Homère

Pourtant, à contre-courant de l’idée que nous nous sommes jusqu’à présent faite sur la plante, les nivéoles et perce-neiges ont aussi été interprétées comme de symboles funéraires. Est-ce à cause de leur couleur blanche et de leur rapport avec la neige, évoquant le linceul des chambres mortuaires ? Toujours est-il que plusieurs croyances ou traditions nous conduisent à ce registre du deuil et du décès.

Dans certaines régions d’Angleterre, par exemple, on pense qu’il ne faut pas amener le premier perce-neige de l’année à l’intérieur des maisons. Celui-ci porterait malheur, et serait capable d’attirer la faucheuse au sein du foyer. Cette croyance viendrait de la ressemblance de la fleur avec un cadavre dans son linceul, mais le symbolisme de l’hiver y joue sans doute un rôle également25. La même idée implique qu’il ne faut surtout pas offrir de perce-neige à quelqu’un, car cela signifierait qu’on veut la voir morte. Une légende anglaise évoque par ailleurs une femme découvrant son amant gravement blessé, et décidant d’apposer sur ses plaies des flocons de neige. Ceux-ci se transforment alors en perce-neiges en même temps que l’homme succombe26.

The Temple of Flora. Robert John Thornton, 1807.

Mais le rapport de notre plante à la mort s’éclaire aussi par ses propriétés. Les perce-neiges et les nivéoles, en effet, sont des plantes toxiques, et même mortelles à dose relativement faible. Au XIXe siècle, François-Joseph Cazin expliquait que cette toxicité fut découverte de façon fortuite, quand une dame vendit des « oignons » de perce-neiges à la place de ceux de ciboulettes27… Cela aurait entrainé de violents vomissements chez les consommateurs, ce qui est un symptôme classique d’un empoisonnement au bulbe de la plante.

Cependant, et comme c’est souvent le cas, une herbe vénéneuse peut aussi, dosée avec minutie, devenir un médicament précieux. Il en est ainsi des perce-neiges et des nivéoles. Les premières contiennent de la galantamine, qui est utilisée pour lutter contre le déclin cognitif dans le cadre de la maladie d’Alzheimer, ou de tout autre trouble touchant à la mémoire28. Il n’est donc aucun hasard à ce que le perce-neige ait été choisi comme emblème et nom d’une association caritative venant en aide aux personnes concernées par la maladie mentale ; association fondée par Lino Ventura et son épouse Odette en 1966. De plus, la galantamine serait un antidote capable de contrecarrer les effets de certaines drogues, et notamment l’atropine contenue dans grand nombre de solanacées usées en sorcellerie. Ce dernier point nous conduit à un mystère historique passionnant : celui d’une plante citée par Homère dans l’Odyssée et qu’il nomme le moly.

Si Homère est le premier à mentionner cette plante, les autres auteurs antiques venant après lui le font également, essayant d’y voir des espèces qui leur sont familières comme Théophraste29, Dioscoride30, Pline l’Ancien31 ou le Pseudo-Apulée32. Or, plusieurs arguments plaident en faveur de notre perce-neige, au sens large du terme. En effet, il est question du moly au moment où Ulysse et ses compagnons, au cours de leur voyage vers Ithaque, visitent l’île de Circé. L’épisode est bien connu : l’équipage envoyé en reconnaissance dans l’antre de la magicienne est transformé en une horde de cochons, à l’exception d’Eurylochos qui rapporte la nouvelle à Ulysse. Celui-ci se met alors en quête de les délivrer et tandis qu’il s’avance, il croise le dieu Hermès, qui lui offre ses conseils. C’est à ce moment-là qu’est évoqué le moly : « Tiens, prends, avant d’aller dans la demeure de Circé, cette bonne herbe, qui éloignera de ta tête le jour funeste. Je te dirai toutes les ruses maléfiques de Circé. Elle te préparera une mixture ; elle jettera une drogue dans ta coupe ; mais, même ainsi, elle ne pourra t’ensorceler ; car la bonne herbe, que je vais te donner, en empêchera l’effet »33. En suivant les conseils du dieu messager, Ulysse parvient effectivement à déjouer le poison et à sauver ses compagnons.

Codex Medicina Antiqua. Page montrant « Herba immolum », le « moly » d’Homère présumé. XIIIe s.

La signification de cet épisode est beaucoup plus complexe qu’il n’y parait, et à sa lecture on comprend aisément pourquoi des chercheurs ont suggéré que le moly puisse correspondre à notre perce-neige34. Tout d’abord, Circé est une ensorceleuse, une sorcière, et il ne fait aucun doute que la mixture qu’elle prépare inclut des ingrédients toxiques, capables de faire perdre la tête aux marins. La fameuse transformation en cochon, en effet, présente toutes les caractéristiques d’un délire psychotique. Les individus se mettent à halluciner et à agir comme des bêtes, délaissant leur humanité sous l’effet de la drogue. Dès lors, on est en droit de suggérer que la potion concoctée par Circé accueillait quelques solanacées bien connues, telles la belladone, la morelle, la mandragore ou encore le redoutable datura. Or, n’avons-nous pas constaté que la galantamine du perce-neige était capable de lutter contre les symptômes de l’atropine ? L’herbe cueillie par Hermès et offerte à Ulysse pourrait alors être notre plante, à même de contrer la magie de Circé.

Mais les arguments en faveur d’un moly perce-neige ne s’arrêtent pas là puisque les compagnons d’Ulysse, en pénétrant dans la demeure maudite et en se transformant en cochons, vivent un épisode de désordre mental évident. Allégoriquement, cette métamorphose correspond donc à une amnésie, un oubli de sa propre personne et de son humanité… Autant de signes de folie que le perce-neige est à même d’entraver par son action sur la mémoire et le cerveau. Ulysse garde la tête sur les épaules quand ses hommes la perdent, mais c’est par le moly qu’il guérit la démence et l’oubli de ses camarades. Il est d’ailleurs intéressant de relever que l’espèce est citée dans des jeux vidéo relatifs à l’univers d’Harry Potter35. Or, d’après le site Pottermore, le moly serait mentionné dans l’ouvrage Mille herbes et champignons magiques de la sorcière Phyllida Augirolle, où il est indiqué qu’elle combat les enchantements.

Le « moly » en cours de botanique à Poudlard. « Harry Potter : secret à Poudlard », 2018.

Notons pour conclure que les descriptions antiques de la plante, bien qu’absentes chez Homère, appuient l’hypothèse du perce-neige ou de la nivéole. Ovide, dans ses Métamorphoses, parle ainsi d’une « fleur blanche, qui possède une racine noire » qu’Ulysse emploie comme talisman en pénétrant la demeure de Circé36. Il faut dire que symboliquement, en apparaissant le premier après l’obscurité hivernale, le perce-neige est un marqueur de souvenir ; il nous rappelle l’existence du printemps et des beaux jours, comme le moly rappelle aux membres de l’équipage métamorphosé qui ils sont réellement.

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Ainsi, nivéoles et perce-neiges recèlent bien des mystères. Ils symbolisent la blancheur hivernale, et par conséquent se rattachent aux notions de virginité et de pureté. De Marie aux fées du printemps, de Perséphone à Blanche-Neige, ces plantes aux floraisons précoces sont aussi associées au retour de la lumière au coeur des ténèbres ; du regain d’espoir après les longues nuits hivernales. En quelque sorte, le perce-neige « chasse l’hiver froid », comme l’invoque la chanson traditionnelle bien connue. Drive the Cold Winter Away remonte au moins au XVIIe siècle37, soit à une époque où l’hiver était vécu dans la chair de chacun, et constituait une épreuve difficilement appréhendable à l’aune de notre confort moderne. Apercevoir la clochette du perce-neige devait donner du baume au coeur du paysan, dont les réserves venaient peut-être à manquer.

Mais le perce-neige symbolise aussi le souvenir. Il nous rappelle l’existence des beaux jours et des printemps en fêtes au moment où le tunnel de l’hiver parait interminable. En outre, il est peut-être le fameux moly évoqué par les sources antiques, dont Homère, qui contrecarre la magie de l’oubli perpétrée par Circée. À l’heure où j’achève cet article, les perce-neiges sont sortis sur le bord des chemins et dans les jardins que nappe encore le gel du matin. Éclaireurs du cortège printanier, ils seront bientôt suivis des violettes, primevères et autres jacinthes… puis retomberont dans leur sommeil annuel, sans pour autant qu’on les oublie.

Pablo Behague, « Sous le feuillage des âges ». Février 2025.

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(1) Richard Mabey, 1996, Flora Britannica.
(2) Charles M. Skinner, 1911, Myths and Legends of Flowers, Trees, Fruits and Plants : In All Ages and in All Climes.
(3) Auteurs incertains, 1641, Guirlande de Julie.
(4) Jacob Grimm, Wilhelm Grimm, et Arthur Rackham, 1909, The Fairy Tales of the Brothers Grimm.
(5) Lewis Carroll, 1865, Alice’s Adventures in Wonderland.
(6) Skinner, 1911, Myths and Legends of Flowers, Trees, Fruits and Plants : In All Ages and in All Climes., op. cit.
(7) Hans Christian Andersen, 1861, Le Papillon.
(8) Johann Wolfgang von Goethe, 1816, Next Year’s Spring.
(9) Théophile Gautier, 1884, Premier sourire du printemps.
(10) Alexandre Dumas, 1872, Le Prince des voleurs.
(11) Hans Christian Andersen, 1835, Les fleurs de la petite Ida.
(12) Clive Staples Lewis, 1950, The Chronicles of Narnia – The Lion, the Witch and the Wardrobe.
(13) 2020, Le perce-neige : mythe, légende et remède, murmuresdeplantes.fr.
(14) 2010, Légendes du perce-neige, beatricea.unblog.fr.
(15) Richard Folkard, 1884, Plant Lore, Legends and Lyrics.; Skinner, 1911, Myths and Legends of Flowers, Trees, Fruits and Plants : In All Ages and in All Climes., op. cit.
(16) Mabey, 1996, Flora Britannica, op. cit.
(17) Skinner, 1911, Myths and Legends of Flowers, Trees, Fruits and Plants : In All Ages and in All Climes., op. cit.
(18) Folkard, 1884, Plant Lore, Legends and Lyrics., op. cit.
(19) Folkard, 1884, op. cit.
(20) Thomas Tickell, 1722, Kensington Garden.
(21) Ovide, Ier s., Métamorphoses.
(22) Dooz Kawa, 2014, Perce Neige.
(23) Grimm, Grimm, et Rackham, 1909, The Fairy Tales of the Brothers Grimm, op. cit.
(24) Jean-François Dumas, 2014, Le perce-neige (Galanthus nivalis) et espèces proches.
(25) Folkard, 1884, Plant Lore, Legends and Lyrics., op. cit.
(26) Skinner, 1911, Myths and Legends of Flowers, Trees, Fruits and Plants : In All Ages and in All Climes., op. cit.
(27) François-Joseph Cazin et Henri Cazin, 1868, Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes.
(28) Jacqueline S. Birks, 2006, Cholinesterase inhibitors for Alzheimer’s disease.
(29) Théophraste, IVe-IIIe s. av. J.-C., Historia plantarum – Recherche sur les plantes.
(30) Pedanius Dioscoride, Ier s., De Materia Medica.
(31) Pline l’Ancien, vers 77, Histoire naturelle – Livre XXI.
(32) Pseudo-Apulée, IVe s., Herbarius.
(33) Homère, VIIIe s. av. J.-C., L’Odyssée.
(34) Andreas Plaitakis et Roger C. Duvoisin, 1983, Homer’s moly identified as Galanthus nivalis L.: physiologic antidote to stramonium poisoning.
(35) Jam City, 2018, Harry Potter : Secret à Poudlard – jeu.
(36) Ovide, Ier s., Métamorphoses, op. cit.
(37) Auteur inconnu, 1625, Drive the Cold Winter Away – chanson.

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